Victor Hugo, Les Orientales.
L'Enfant, Orientale XVIII.
L'Enfant (au format pdf)
Eugène Delacroix, Massacre de Chios, 1826.
O horror! horror! horror! Shakespeare, Macbeth.
Les
Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio,
l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil,
Chio, qu'ombrageaient les charmilles,
Chio,
qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses
coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un choeur dansant de jeunes filles.
Tout
est désert. Mais non; seul près des murs noircis,
Un
enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée;
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avait pour asile, il avait pour appui
Une
blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
Ah l pauvre enfant, pieds nus
sur les rocs anguleux!
Hélas ! pour essuyer les pleurs
de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l'onde,
Pour que dans leur azur, de
larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie
et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,
Que
veux-tu? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour
rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n'ont
pas subi l'affront,
Et
qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule?
Qui
pourrait dissiper tes chagrins nébuleux?
Est-ce
d'avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d'Iran borde le puits sombre?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu'un
cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre?
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui
chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales?
Que
veux-tu? fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux?
-Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux yeux bleus,
Je
veux de la poudre et des balles.
8-10
juin 1828.
Victor Hugo, Les Orientales, XVIII
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